Je suis né à Bouctouche. Ça fait longtemps. J’étais jeune à l’époque.
Mes parents y sont morts et enterrés. Ma mère en premier. Mon père cinq ans plus tard, à 99 ans. Ça s’est mal passé avec mes soeurs et mon frère, comme ça arrive dans d’autres familles. J’ai été habilement exclu des derniers rites et la discussion s’est terminée par avocats interposés. Mais c’est pas ça que je veux raconter. C’est pour dire que mon retour à Bouctouche après près de dix ans me tiraillait, déchiré par des souvenirs bons et d’autres douloureux.
J’y suis retourné parce que Majella et Louise Marie, qui connaissent bien Bouctouche, et Normand et Anne-Marie, qui ne connaissaient pas du tout Bouctouche, s’étaient donnés comme projet d’y faire un tour cet été. Sachant que je me vantais toujours d’être le troisième illustre personnage qu’a vu naître Bouctouche, après K.C. Irving et Antonine Maillet, Anne-Marie m’a invité à m’y joindre. Comme nous serions « à plusieurs », j’ai dit oui.
Finalement, Majella « branlait dans le manche », comme il changeait de véhicule à cette période. À la dernière minute il s’est décidé et c’est avec son frère Serge et son drôle d’oncle Jean-Claude qu’ils sont débarqués au Camping DT au fond de la baie de Bouctouche. Normand et Anne-Marie y étaient quelques heures avant nous avec leur petite Alto sur le terrain adjacent.
Les deux premiers jours n’ont pas été sereins, partagé entre joie de revoir Bouctouche et le flot de souvenirs troubles. J’ai retrouvé la croix de pierre sur les cercueils de mes parents, faisant face à la baie de Bouctouche qu’ils ont tant aimée et que j’ai tant naviguée. J’ai passé tous les étés de mon enfance trempé dans ses eaux salées chaudes. Plusieurs d’entre elles avec mon cousin André, que j’ai retrouvé avec grand bonheur dans sa belle maison nichée le long d’une rivière, une des trois, qui se jette dans la baie. On l’appelait la rivière des Allains, mais je crois que son nom officiel est la rivière Black. Allez savoir… et tant pis. Le curé Allain, d’ailleurs, avait fait un de ses sermons terrorisants au sujet de ceux qui allaient se baigner « tout nu » au pont des Allains. Alors, si le curé l’appelle ainsi, c’est que ce doit être vrai!
Poutine râpée, coques frites, homards achetés au quai de Saint Édouard… mon état d’esprit a changé et j’étais heureux d’être à Bouctouche. D’ailleurs au quai de Saint Édouard, je me place derrière une toute petite femme en attendant que le pêcheur accoste pour débarquer et faire peser sa pêche. C’est ti-pas Antonine Maillet! Ah! Denis! C’est le fils du docteur Marcoux. Je gardais son frère et sa soeur quand ils étaient petits, explique-t-elle à ses compagnons à côté. (Bon, ok. C’est du « name dropping ». Je l’ai fait avec une certaine finesse, non?) Le homard était à $5 la livre. J’en ai mangé « en masse ».
La présence de mes amis avec moi, là-bas a été supportant. Nous avons exploré la dune à la recherche des vestiges du canal que mon grand-père a tenté de percer au travers de la dune pour raccourcir le trajet des pêcheurs vers de port de Bouctouche. Je l’ai trouvé à ma deuxième tentative, seul avec Marie-Paule. Ce canal n’a survécu que quelques mois, rempli deux fois par les premières tempêtes. On y voit que des vestiges des grands murets qui tracent l’ancien canal en perçant le sable de quelques pouces.
Une semaine en août… Je reviendrai te voir un jour à nouveau, village de mon enfance dorée, jaune des sables et du soleil, bleue des flots de la baie de Bouctouche.